Histoire d’un jeune-homme

Compositeur autodidacte de 21 ans, l’œuvre musicale de Max de Foucaud a commencé de voir le jour au cours de l’hiver 1941, dans le camp de représailles du Stalag 1A de Stablack, en Prusse Orientale, par une température de -35°C…

Ainsi sont nés, d’une écriture gelée sur des portées striées comme du barbelé, un Concerto pour Piano & Orchestre en La b. majeur « Quo vadis ? », une Pièce Symphonique en Si Majeur « Hantise » et une « Symphonie Mystérieuse » en Ré majeur.
Max de Foucaud est né le 26 décembre 1919 au n° 7 de la rue Lemercier, à Pontoise (Seine-et-Oise).
Fils d’officier de cavalerie, il suit son père de garnison en garnison.
Il fait alors ses premières classes avec le Cours Hattemer, puis :
. 1934-35 : il est pensionnaire à Saint-Grégoire de Tours, section Humanités,
. 1935-36 : Section Rhétorique (1ère Latin – Grec)
. 1936-37 : Section Maths Élémentaires
. 1937-39 : 1ère & 2ème année de préparation à Polytechnique à Sainte-Geneviève (Versailles).
. Juillet 39 : admissible à l’X (Polytechnique)

Sa vie bascule alors avec l’Histoire de France :
. 3 Septembre 39 : La France déclare la guerre à l’Allemagne
. 21 Septembre 39 : Il renonce à son admission à Polytechnique et s’engage comme Volontaire pour la durée de la guerre à l’Intendance Militaire de Tours comme E.O.R (Élève Officier de Réserve).
. il postule alors à l’École d’E.O.R de Poitiers :
a/ Quartier Rivault (3 mois),
b/ École des Dunes (3 mois)

Aspirant de réserve, il est affecté le 21 avril 1940 au 14ème RADC (Régiment d’Artillerie de Division de Cavalerie) à Walenheim (Brumath, Haguenau).
S’ensuit le départ pour le front : Noirval, près du Chêne (poche de Sedan)…
L’armée française est prise à revers.
Retraite via Nancy.
17 juin 1940 : Pétain annonce la demande d’armistice de la ­France.
Max de Foucaud est alors fait prisonnier à Thieulley-les-Groseilles par fait de l’Armistice (Fort de Pont Saint-Vincent)
Il est ensuite transféré à l’École professionnelle de Nancy, puis à :
. Soest, oflag VI A, Allemagne
. Dortmund, stalag VI D
. Stablack, stalag I A (Prusse Orientale) près de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad), à partir de mars 1941.
« Départ de Dortmund pour les environs de Königsberg… Voyage de 5 jours et 4 nuits 1/2 en wagons-bestiaux, passant par Loerthe, Hanovre, nord de Berlin, Allenstein… Nous arrivons à Stablack, au camp de représailles… »

Il « profite » de son séjour à Stablack pour « potasser » l’harmonie et l’orchestration.

Il compose alors un « Mystère de Noël » de 30 mn devant constituer la soirée de Noël 41… mais atteint d’une pleurésie et d’une dysenterie, il s’effondre 2 heures avant la représentation et est évacué vers la baraque hôpital…

Rapatrié en 1942 dans un état physique grave, il se retrouve à Paris où il rencontre Georges Van Parys dont il devient rapidement l’ami et le collaborateur. Il travaille dés lors avec lui à la mise au point et à l’orchestration de partitions de musiques de films de Henri Decoin, Albert Valentin, Léo Jannon, etc.

C’est à cette époque qu’il termine la rédaction de certaines œuvres commencées en captivité.

De nouveau obligé de quitter Paris, à la suite de la mort de son père, il échoue sur les rives de la Vienne, à côté de Chinon, où il décide de tout faire pour tenter de transmettre son amour pour la musique.

Il se consacre notamment à deux activités essentielles : la mise en place de « causeries musicales » et la présidence du « Rideau de Chinon », association ayant pour objet de promouvoir la musique par le biais de spectacles en tous genres, organisés au profit des Oeuvres Sociales de la Ville, des Victimes de Guerre et des Déportés. C’est un véritable succès.

1962 est cependant une année tragique du fait des séquelles de la captivité qui continuent de se révéler : une paralysie arthritique s’empare de ses mains, lui condamnant à jamais les articulations de trois doigts…

Sa carrière de pianiste-compositeur-interprète autodidacte s’effondre cette année-là, consumant son doigté par le feu de la douleur et Max de Foucaud écrit dans ses notes : « Moments ineffables et sans nom / qui pour demeurer n’auront d’autre possible / que le souvenir jeté dans l’âme d’un passant…Un arbre seul ne peut arrêter le vent dans la plaine. »

Il ne peut plus désormais rester musicien que dans le cœur… Et si certaines de ses partitions s’étaient déjà égarées dans les piles du « Comité de Sauvegarde des Œuvres de la Pensée Créées en Captivité », les autres disparaissent dans les tiroirs, et il se réfugie dans le lourd silence d’une campagne totalement coupée du monde où rien d’autre ne passe que les nuages…

Retrouvant ces partitions par hasard vingt-cinq ans plus tard, je décidais de faire interpréter sa musique, à fin que justice lui soit rendue.
Je les soumis alors pour consultation à bon nombre de compositeurs et chefs d’orchestre réputés tels que Milosz Magin, Louis Bessieres, Thomas Becquet, Christopher Bishop et Bernard Haitink, qui tous furent impressionnés par l’originalité très marquée de leur tessiture.
Et ce fut Maurice Baquet qui, le premier, interpréta en public, en 1980 à Chamonix, les quelques pièces pour violoncelle.

Puis les enthousiasmes s’enflammèrent, et les talents se rassemblèrent, fin 87, pour donner vie aux pièces maîtresses.

Yves Prin dirigeant le Paris Philharmonic Orchestra

Et c’est le jour de Noël 87 – qui était aussi le jour anniversaire de ses 68 ans – que Max de Foucaud découvrit, dans le silence de son refuge, ce qu’il avait conçu quarante années plus tôt. Il retrouva ce jour-là, pour la première fois sans doute depuis la paralysie de ses doigts, le sens de sa propre identité.

C’est ainsi qu’il écrivit, en Janvier 88 : « Ma tête résonne nuit et jour de « ma musique », ce qui devient fatiguant… »
Aussi, sous le coup de l’émotion et sous l’effet de l’âge, il préféra rester dans l’ombre, quitte à décliner, en 92, l’offre de France-Culture de lui octroyer une « Nuit Magnétique ».
Il inscrivait le même jour dans ses notes : « Ma muse s’essouffle, en raison de mon âge avancé et du froid persistant… »

Il s’éteignait le mois suivant, dans la nuit du 16 au 17 Mars 1992, après une soirée consacrée à réécouter sa musique…

Son compositeur disparu, il devenait difficile de maintenir vivante l’œuvre de Max de Foucaud. J’y parvenais néanmoins avec la diffusion de disques qui firent bientôt des émules auprès de quelques passionnés de « musique créée dans les camps » qui reprirent le flambeau.

Claude Torres considéra ainsi ces partitions dignes de figurer au panthéon des « musiques d’exil », au même titre qu’Olivier Messiaen, Émile Goué ou Robert Lannoy…
http://claude.torres1.perso.sfr.fr/GhettosCamps/MusiquePrisonniers.html

Puis Francesco Lotoro, pianiste et compositeur italien, eut un véritable coup de cœur pour les pièces pour piano et aussi pour « Hantise » dont il dira « This work has a very, very high level… and there is a subliminal underground of B. Smetana « Ma Vlast » (Die Moldau), but this works has an enormous wind, a « Mahlerian » conception ».
Il interprète ainsi les Nocturnes en avril 2014, à l’Institut Culturel Italien de New-York et enregistre actuellement un certain nombre de titres devant prendre place dans l’Encyclopédie de la musique créée en captivité : Thesaurus Musicae Concentrationariae.
http://www.ilmc.it/enciclopedia.html

L’interprétation offerte le 7 septembre 2014 par la Ville de Richelieu, Musiques & Patrimoine et l’Ensemble Cartésixte, fut la 1ère création symphonique publique jamais octroyée aux œuvres de Max de Foucaud et l’enthousiasme talentueux de Simon Proust a également permis la 1ère orchestration d’une pièce initialement écrite pour flûte, violoncelle et orgue : Prélude

Enfin, le 28 avril 2016, sous la direction de Francesco Lotoro, 3 œuvres de Max de Foucaud font l’ouverture de la cérémonie commémorative du 71e anniversaire de la libération du camp de Dachau, survenue le 29 avril 1945 par le 3e bataillon du 157e régiment de la 45e division d’infanterie de la 7e armée US.
Au programme : Élévation I (violon & orgue), Élévation II (Violon, violoncelle & orgue) et Prélude (adapté pour violon, violoncelle & orgue), interprétés par Walter Schreiber (violon), Walter Brachtel (violoncelle) et Francesco Di Lernia (orgue).
Les œuvres de Max de Foucaud furent ainsi rejouées pour la 1ère fois dans un contexte rappelant celui où elles avaient été composées.

Gageons alors que toutes ces énergies et toutes ces « premières fois » soient effectivement le prélude du rayonnement des œuvres de « celui qui jamais ne vit une seule de ses créations interprétées de son vivant »…

Frédéric de Foucaud
f2f@orange.fr